[ENTRETIEN] Philippe Guillemoteau • Auteur
LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE !
ENTRETIEN 2/4
PHILIPPE GUILLEMOTEAU
AUTEUR ET MUSICIEN
Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :
« LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE ! »
4 témoignages autour des enjeux de transmission de la mémoire du secteur et de ses projets
« L’imagination, c’est de la mémoire fermentée. » Milan Kundera
Près de 45 ans après l’apparition du terme « Musiques Actuelles » et des années de structuration continue du secteur et des politiques publiques qui l’accompagnent, les enjeux de renouvellement, d’inclusion et de transmission apparaissent extrêmement forts au sein de ses structures. La mémoire du secteur (et de ses projets) constitue l’une des clés pour conserver la capacité d’impulser continuellement de nouvelles dynamiques collectives et les valeurs d’indépendance, d’éducation populaire et de défense de la diversité qui lui ont permis de se développer.
Afin d’aborder ce sujet et la manière dont il interroge ou peut servir les pratiques des acteurs des Musiques Actuelles, nous avons choisi d’interroger quatre personnes, qui ont travaillé sur ces enjeux de mémoire (conservation, valorisation, patrimonialisation, …) ou bien les ont traversés tout au long de leur carrière, « en faisant ».
Entretiens réalisés par Emma Roche, en Service Civique au RIM, en début 2025
PHILIPPE GUILLEMOTEAU
Philippe Guillemoteau, auteur, passionné de musique et musicien lui-même, nous présente son travail colossal de recensement des initiatives Musiques Actuelles dans le département des Deux-Sèvres de la fin des années 60 au milieu des années 2000, à travers l’écriture de son livre « Micro Faunes ».
D’où vous est venue l’idée de recenser les initiatives et les groupes des Musiques Actuelles des Deux-Sèvres en particulier ?
Étant moi-même musicien, je trouvais qu’il se faisait plein de choses intéressantes. J’avais commencé a écrire des choses, j’écris des chansons, des textes courts. J’avais écrit un bouquin sur l’histoire de la famille de ma compagne et je m’étais dit « est-ce que je suis capable de faire plus gros, d’aller plus loin dans l’écriture ? ». C’était un défi personnel. Naturellement, je me suis intéressé à écrire sur la musique, car c’est l’essentiel de ma vie. Je suis parti là-dessus en me disant que je connais pas mal de musiciens qui ont des histoires intéressantes, donc, pourquoi je ne raconterais pas ça ? Au bout d’une trentaine, quarantaine de pages, j’ai compris que c’est comme une pelote de laine : tu tires un peu et ça se déroule, c’est énorme, tu as l’impression qu’il y en a toujours plus.
Je ne savais pas quoi faire de ce que j’avais commencé à écrire, puis je mangeais avec un copain musicien et éditeur qui s’appelle Philippe Floris. Je lui ai parlé de cette initiative et il m’a répondu qu’il souhaitait en être l’éditeur.
Comment vous y êtes-vous pris pour recenser plus de mille noms pour ce projet ?
J’ai fait de l’archive. J’ai entassé. J’avais déjà pas mal de choses car j’ai beaucoup de disques, cela fait partie de ma culture. Je fais beaucoup les vides-greniers, les Emmaüs… alors dès que je voyais un disque qui avait l’air d’être du coin, je le prenais. Ça a commencé à s’entasser. Après j’ai commencé a faire des interviews, car j’avais quand même une vision un peu globale du truc, des différents courants musicaux locaux, je savais qu’il se passait telle chose à Parthenay à telle époque, telle chose à plein d’endroits à telle autre époque… alors ce que j’ai commencé à faire, ce sont des interviews. J’ai mis cinq ans à faire le bouquin parce qu’a cette époque là, je travaillais. Je faisais ça, soit le soir après dîner, soit le week-end… je prenais des rendez-vous avec les gens, j’allais les voir, car pour moi, le contact physique était indispensable. J’ai pas compté, mais j’ai dû faire une centaine d’interviews.
J’ai pris mon pied à faire ça, car étant musicien, chanteur, ayant tourné depuis le début des années soixante-dix dans la région, quand je me présentais, cela facilitait un peu les choses pour aller discuter avec les gens. Souvent, on avait partagé des scènes. C’est incroyable quand tu vas vers les gens, quand tu amorces bien la pompe, ça peut durer des heures et ça, pour moi, c’était vraiment le pied.
Je m’étais donné un cadre : je me limite à la création musicale. Je ne vais pas vers ceux qui font de la reprise, de l’adaptation, je vais pas vers le chorales, les groupes de bal. Pour moi, le cadre c’était ceux qui créaient et qui permettaient d’aller plus loin. Ce n’est pas que le reste c’est pas bien, mais ça me permettait d’avoir un cadre de travail. J’ai commencé à faire des bases de données : musiciens, groupes… Pour chaque entrée j’avais une fiche. J’ai rattaché ça à ma base de données : j’écoutais un disque, je le chroniquais et je le mettais dans la base.
Que mettez-vous dans une fiche d’artiste ?
La fiche type, c’est le nom du groupe, la discographie, d’où ils sont… J’ai toujours le lieu d’identification et la période concernée sous le nom pour m’y repérer. Pour la discographie : en quelle année, sortie par qui… etc.
« J’ai commencé et quand j’ai eu fait ce qui ressemblait a une trentaine, quarantaine de pages, au fur et à mesure, c’est comme une pelote de laine : tu tires un peu et ça se déroule, c’est énorme, tu as l’impression qu’il y en a toujours plus. »
Donc vous dites que votre enquête s’est déroulée sur cinq ans. Cela correspond au temps que vous avez mis à faire le livre ?
J’ai commencé à rédiger avant d’avoir rencontré l’éditeur, donc avec le reste ça a constitué cinq ans de boulot. L’éditeur a travaillé au fur et à mesure.
Moi, ce qui m’intéressait, au départ, c’était l’écriture. J’avais un bon échange avec cet éditeur et il m’a dit quelque chose auquel je n’avais pas pensé au départ. Il n’existe plus, mais il s’appelait « Patrimoine et médias ». Il travaillait sur le patrimoine et sortait essentiellement ce qu’on appelle « des beaux livres » de photos de châteaux, de paysages… Moi, j’avais pas fait le lien dans ma tête avec la dimension patrimoniale de ce travail. C’est lui qui l’a fait et qui m’a dit : « Ce que tu fais, c’est du patrimoine ! Il n’y a qu’une condition, c’est qu’il me faut des images. Dans la logique du patrimoine, il faut des images. Les groupes des années soixante-dix avec les pantalons pattes d’eph par exemple, il me faut leur gueule, leur look, les affiches… » A chaque fois que je faisais une interview, je ramenais du matériel et j’allais chez l’éditeur. Il avait ce qu’il faut pour numériser. Quand c’était du A4 je pouvais le faire tout seul mais quand c’était une affiche, lui avait le matériel et produisait des fichiers de bien meilleure qualité que moi.
Pour trouver toutes ces ressources, qu’avez vous utilisé ?
Les brocantes, Emmaüs, solderies… quand j’allais voir les gens, dans l’entretien surgissait un nom, ça nous emmenait sur autre chose, ils me donnaient les coordonnées, j’appelais la personne, en disant qu’on m’a dit de l’appeler… par exemple pour tout ce qui concerne la musique traditionnelle, un volet très important en Deux-Sèvres, une musique que je ne connaissais pas du tou (je viens du rock et du punk donc les musiques trad ne me causaient pas tellement). À Parthenay, il y a l’UPCP-Métive (voir entretien 1/4), qui fait un travail patrimonial, d’archivage et de mémoire extraordinaire. J’y suis allé quelques fois chercher des documents, discuter avec les gens et trouver des trucs. Au départ mon projet c’était de faire les 4 départements. Et puis, en cours de route, ça a bifurqué.
Couvrir les quatre départements n’aurait-il pas représenté un travail énorme ?
Oui, mais travailler sur le long cours n’est pas quelque chose qui me gêne. Je suis quelqu’un de lent et qui travaille dans la durée, donc c‘est une méthode qui me convenait. J’avais commencé le volume de la Vienne, j’avais rédigé quatre-vingt pages, quelque chose comme ça, j’avais commencé les entretiens et c’est le moment où j’ai commencé à écrire les polars musicaux, qui ont pris le pas sur le travail documentaire, car les deux n’étaient pas compatibles en même temps.
Les Deux-Sèvres sont un territoire rural. Est-ce que cela a été aussi simple de travailler en territoire urbain que rural ? Est-ce que cela a pu avoir une incidence sur la capacité à trouver des sources, des personnes ?
Les Deux-Sèvres, il faut être conscient d’une chose : pour eux, la fac, c’est Poitiers. Les orchestres, quand ça démarre, soit tu en montes un au lycée, soit tu montes un groupe en rencontrant d’autres musiciens à la fac. Et donc, de toute façon ça passait beaucoup par Poitiers à cause de la fac. En général, les gens commencent au lycée, mais s’en vont à Poitiers à la fac pour faire des études et reviennent. Donc la dimension urbaine/rurale… en fait, je ne me suis pas posé cette question.
Professionnellement, je travaillais sur l’aménagement du territoire à cette époque. Mon boulot, c’était d’être l’interlocuteur des « pays ». C’était un échelon intermédiaire entre communautés de commune et départements : des rassemblements de communes et communautés de commune. Mon boulot était d’aider les pays a monter leur projet et de les accompagner dans différents domaines. Naturellement, je travaillais beaucoup sur l’histoire et ce qu’étaient les pays. Pour donner une idée, sur les Deux-Sèvres, il y avait, en gros, cinq pays : le pays Mellois, du bocage Bressuirais, la Gâtine, le Pays Thouarsais et Niort. Chacun de ces pays étaient très cohérents géographiquement et culturellement. Historiquement aussi. C’était quelque chose sur quoi j’avais déjà travaillé professionnellement.
Spontanément, c’est pas dit comme tel dans mon travail sur Micro Faunes, mais vous retrouverez l’échelle de ces pays. Donc à chaque fois, je traite la zone de la Gâtine ou de Parthenay, le bocage Bressuirais… j’essaie de voir comment ça bouge en parallèle. J’essaie aussi de voir les politiques culturelles des différents territoires – car mon boulot était de travailler avec les élus. J’ai essayé, dans le bouquin – c’était pas l’objectif principal mais ça m’intéressait quand même – de traiter aussi la différence d’approche sur les politiques culturelles de territoire. J’avais été très intéressé de voir que dans le Niortais ou en Gâtine, on avait des politiques quasi à l’opposé l’une de l’autre. C’est à dire qu’en Gâtine, à l’époque, il y avait un maire de Parthenay qui avait pour approche de favoriser l’éclosion des associations et de faire porter la culture par ces associations en les aidant financièrement. Donc il y avait un accompagnement, mais le territoire se développait autour d’associations qui organisaient par exemple, « Jazz en Gâtine »… toutes ces associations avaient des petits festivals, des choses comme ça.
A l’opposé, à Niort, on était sur quelque chose de très centralisé : la culture, c’était la ville de Niort. Les associations faisaient ce qu’elles pouvaient. Donc ça donnait des choses assez différentes dans la dynamique : par exemple des festivals à Parthenay mais pas à Niort. Ce qui m’intéressait, ce n’était donc pas le rural et l’urbain, mais la dimension territoriale des choses.
« Je ne te dis pas les dizaines de musiciens que j’ai rencontrés avec qui j’ai gardé des liens. C’est du bonheur, ces relations humaines nées à cette occasion. »
A titre personnel, que vous a apporté la réalisation de ce travail ?
De la confiance en moi sur le fait de pouvoir écrire des choses plus longues que des chansons. C’est pour ça qu’après je suis passé à l’exercice du bouquin de 350 pages et au polar musical. Mais le principal apport est humain, tous les gens que j’ai rencontrés… moi en ce moment, je fais de la musique avec Jacky le Poitevin et Michel Beaufils. Michel Beaufils, je ne le connaissais pas, je l’ai rencontré quand je l’ai interviewé. Je ne te dis pas les dizaines de musiciens que j’ai rencontrés avec qui j’ai gardé des liens. C’est du bonheur, ces relations humaines nées à cette occasion.
Y a-t-il eu des grandes évolutions ou évènements que vous avez pu noter en Deux-Sèvres, depuis la parution du livre ?
Je ne me suis pas trop posé la question… il y a une démultiplication du nombre d’artistes, de groupes, etc. J’avais continué après le bouquin à stocker infos, articles de journaux, disques, etc. et j’ai arrêté car c’était une folie ! Il y en aurait eu tous les jours… Dans le bouquin j’ai oublié plein de gens que j’ai découverts après. En même temps, c’est super, mais je sens complètement largué tellement il y a de choses… même musicalement je n’arrive pas a suivre… à partir des années deux-mille, ça explose…
Auriez-vous une explication sur la quantité d’artistes présents dans le département, au vu du nombre d’artistes que vous recensez dans le livre ?
C’est partout pareil. Ce livre n’est pas isolé dans son approche : souvent, les bouquins comme ça qui font un peu d’histoire sont soit axés sur le rock, soit axés sur une ville. Le premier que j’avais vu et qui m’avait donné un peu l’idée de creuser la question, c’était un bouquin qui était sorti sur le rock à Brest. C’est une ville ou il y a une vraie histoire musicale. Et après, il y en a eu plein qui sont sortis : rock à Rennes, rock a Lyon… c’est souvent sur le rock. La démarche de croiser toutes les musiques est un peu particulière dans ce que j’ai fait, car c’est quand même souvent sur les musiques électriques, chanson, rock… mais je crois qu’il y a de la vie partout, comme ça. Ma base de données, je l’avais faite en parallèle sur quatre départements. Elle est forcément moins complète sur les autres, mais c’est monstrueux quand même.
Par exemple, on parlait de mes sources : une réponse que je n’ai pas donnée, c’est les studios d’enregistrement ! J’ai fait le tour des studios parce que forcément, dans la création, à un moment il faut que ça sorte et donc que ce soit enregistré. À l’époque, là où on enregistrait, c’était dans les studios, pas chez soi. Dans les Deux-Sèvres, la particularité, c’est le courant de musiques trad. Forcément, si tu vas dans un milieu plus urbain, dans la Vienne par exemple, le coté rock est beaucoup plus prégnant que dans d’autres départements. En Charente, en revanche, il y avait beaucoup plus de jazz, car il y a eu un très gros festival de jazz qui a démarré à Angoulême dans les années soixante-dix, qui est devenu Musiques Métisses, par la suite. Le fait qu’il y ait eu ces choses-là, ça favorise certains courant musicaux plus que d’autres. Après, les groupes de rock de bahut, ça, il y en a partout…
Comment le livre vit-il aujourd’hui ? Comment imaginez-vous une suite à ce travail ?
Je n’imagine pas de suite, à titre personnel. Après, il peut y avoir d’autres gens que ça intéresse de faire d’autres choses…
L’éditeur n’existe plus, donc le livre n’est plus en vente dans les magasins. Le livre était diffusé par La Geste, et de toute façon c’est un livre qui ne se vend qu’en Deux-Sèvres… c’est une niche. Il ne se vend même qu’aux musiciens des Deux-Sèvres ou à leurs familles, ce qui n’est pas gênant en la matière. On en avait tiré mille exemplaires. Quand l’éditeur à arrêté de travailler, il y a trois ou quatre ans, il en restait entre cent et deux cents. Il m’a demandé si je voulais en racheter à vil prix donc j’en ai racheté une centaine, et je les vend à la fin des concerts, à vil prix également avec une petite marge quand même. Quand je n’en aurai plus à vendre, ce sera fini. Il y en aura peut être sur internet, d’occasion. Les gens qui m’en achètent, ce sont des musiciens, parce que ça leur cause, pas forcément parce qu’ils sont dedans, mais parce qu’ils connaissent des gens qui sont dedans… Donc des suites, non… il faut être vraiment organisé. Moi je ne me sentirais pas.
Mais le travail que j’ai fait, je l’utilise encore. Là, j’ai travaillé sur la revue « Le Picton » qui sort sur le Poitou-Charentes uniquement, et est une revue régionaliste. A l’été 2025, ils vont faire un numéro axé sur la musique, les productions musicales du Poitou-Charentes. Ils m’ont contacté, j’ai écrit deux ou trois articles, j’ai réutilisé du matériel que j’avais. Donc ce sont des choses comme ça, ponctuelles. Quand j’ai fait les articles pour « Le Picton », je suis retourné dans mes bases de données revoir ce que j’avais écrit sur tel groupe… je m’étais organisé de la manière suivante : un artiste = une fiche (numérique) sur laquelle je repère sa discographie, l’iconographie utilisable éventuellement puisque dans le cadre du bouquin, je devais la repérer. Et puis, je mets un peu d’analyse de la progression entre les disques, de ce qui est intéressant… En général, quand j’avais le temps, je faisais une rubrique analytique. Et après, j’ai la base données où il y a tous les artistes et j’ai un lien entre la base données des artistes et la fiche de l’artiste. Ce sont des choses anciennes, mais tu peux retrouver un nom d’artiste. Les interviews, il y en a que j’ai faites et pris des notes, d’autres que j’ai enregistrées, mais c’est sur cassette !
Pour chaque artiste, j’ai aussi un petite chemise où je mets les articles papiers, les articles de journaux, etc. Je me disais qu’un jour, il faudrait que je fasse un gros paquet de tout ça et je les donnerai aux archives départementales. Je pensais aux archives départementales, parce que c’est des endroits où je suis allé voir. Même quand je fais des recherches pour mes bouquins, je vais souvent aux archives départementales.
Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :
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