LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE !

ENTRETIEN 4/4

NICOLAS ANTOINE

DÉLÉGUÉ TERRITORIAL AU RIM

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Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :

« LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE ! »

4 témoignages autour des enjeux de transmission de la mémoire du secteur et de ses projets

« L’imagination, c’est de la mémoire fermentée. » Milan Kundera

Près de 45 ans après l’apparition du terme « Musiques Actuelles » et des années de structuration continue du secteur et des politiques publiques qui l’accompagnent, les enjeux de renouvellement, d’inclusion et de transmission apparaissent extrêmement forts au sein de ses structures. La mémoire du secteur (et de ses projets) constitue l’une des clés pour conserver la capacité d’impulser continuellement de nouvelles dynamiques collectives et les valeurs d’indépendance, d’éducation populaire et de défense de la diversité qui lui ont permis de se développer.

Afin d’aborder ce sujet et la manière dont il interroge ou peut servir les pratiques des acteurs des Musiques Actuelles, nous avons choisi d’interroger quatre personnes, qui ont travaillé sur ces enjeux de mémoire (conservation, valorisation, patrimonialisation, …) ou bien les ont traversés tout au long de leur carrière, « en faisant ».

Entretiens réalisés par Emma Roche, en Service Civique au RIM, en début 2025

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NICOLAS ANTOINE

Familier des Musiques Actuelles depuis 20 ans, Nicolas Antoine en a depuis fait son métier. Il cumule le rôle d’auteur, de bénévole sur différents évènements musicaux depuis plusieurs années, et de délégué territorial au Réseau des Indépendants de la Musique depuis 2017. Il nous présente ici son ouvrage biographique sur le groupe de rock français Eiffel, publié en 2015, ainsi que l’écriture actuelle de son nouvel ouvrage à sortir fin 2025 concernant l’historique de l’association tourangelle des Îlots Électroniques : « Les Îlots, 10 ans – Florilège de la teuf ».

Quelle a été votre démarche d’approche pour amorcer le projet du livre Inferno Telegraph – une biographie d’Eiffel ?

Au départ, ce qui est un petit peu étrange dans la démarche de ce premier livre, c’est que la grande majorité du contenu à l’intérieur, c’est à dire la biographie du groupe principalement (même si il y a des petites choses en plus) n’était pas destiné à finir dans un livre papier. Eiffel, c’est un groupe qui avait l’aide de ses fans, qu’on appelle « Les Ahuris » (nom lié à l’un des albums d’Eiffel) notamment sur la gestion du site internet officiel du groupe. Et moi, j’écrivais quelques articles dessus, et aussi dans un petit fanzine papier qu’on avait. A force de faire tout ça, on m’a proposé un jour de mettre à jour la biographie du site internet d’Eiffel. Sauf qu’au lieu d’écrire quelques paragraphes, j’ai commencé à écrire vraiment quelque chose de très conséquent, de très détaillé avec de vrais chapitres pour chaque album. Et du coup, des gens ont commencé à me dire que c’était cool de l’avoir sur le site internet, mais que ce serait encore plus sympa de l’avoir en papier – avec de belles illustrations, des photos, des images d’archives, etc – ce à quoi au départ, je ne croyais pas trop. Puis, à force de me l’entendre répéter, j’ai commencé à penser que ça valait peut-être le coup. J’ai donc lancé un financement participatif pour les auto-éditions de ce que j’avais déjà écrit en format livre, et ce financement a très très bien marché parce qu’il y avait une communauté de fans assez active. La base était financée en 24 heures, ce qui m’a amené à me poser pas mal de questions, à rajouter d’autres contenus que la seule biographie dans ce livre et le rendre un peu plus beau que ce qu’il devait être au départ : il n’était sensé être qu’en noir et blanc et agrafé, de base.

Quelle a été votre méthode d’écriture pour un tel travail biographique ?

Déjà, j’étais fan du groupe. Ce livre a un peu vocation à être un livre journalistique car il est très précis, très factuel et a été relu par plein de personnes. On ne peut jamais trouver une info dedans qui n’est pas réaliste, véridique en tout cas. Mais ça reste un livre fait par un fan du groupe, donc le contenu est très orienté de ce côté-là. Sur la méthode, j’avais la chance d’être impliqué sur le site internet du groupe, d’être assez proche des musiciens, d’avoir un accès facile aux sources (c’est à dire les personnes qui avaient vécu l’histoire du groupe) et avec qui j’ai pu au moins échanger sur pas mal de choses, retrouver des infos etc. A l’époque j’avais récupéré deux gros cartons d’archives papier, donc énormément d’articles de presse, quelques trucs qui étaient encore numérisés, mais on était quand même a une époque où le papier avait encore sa place et où tout n’était pas numérique, notamment dans la presse. On m’avait donné plein d’archives d’articles de presse des premières tournées du groupe, des premiers disques, etc. Et j’ai relu beaucoup d’interviews du groupe, qu’elles soient dans la presse les concernant, dans des fanzines ou webzines… j’ai beaucoup passé de temps dessus, ou sur des interviews de proches du groupe. J’avais découpé plein de passages d’interviews pour recouper des infos sur ce qui était dit dans telle ou telle interview, qui se regroupait avec telle autre, donc c’était un travail un peu documentaire ou par thème. « Tiens, ça ça parle de tel album, et de tel aspect de l’album dont je n’avais pas trouvé d’infos, etc. ». J’ai encore tout un classeur comme ça chez moi, avec plein d’articles de presse découpés.

Vous dites que vous étiez proches des musiciens. Comment cette proximité s’est-elle-faite ?

De manière, au final, assez simple. J’avais commencé à écouter Eiffel un petit peu avant, mais en 2005, le chanteur Romain Humeau était en tournée solo parce qu’il avait sorti son premier album solo a coté d’Eiffel, « L’éternité de l’instant ». Et il avait proposé sur son site internet à quelques fans d’organiser ses concerts. L’idée, c’était que ce soit des concerts gratuits : ça pouvait être dans un bar, une médiathèque, peu importe, et il venait en solo guitare/voix, de manière assez proche et intimiste, finalement. Moi, je n’avais jamais organisé de concerts, clairement. Je n’avais aucun cadre pour le faire, je n’avais pas d’association. Je suis juste allé voir un bar à côté de chez moi où je savais qu’il y avait des concerts : j’ai proposé ça, et ça s’est fait. On a passé le week-end avec Romain Humeau, parce qu’il est venu pour ça. Ce qui a fait que je me suis retrouvé impliqué sur le site internet du groupe, et j’ai commencé à beaucoup plus côtoyer à la fois le groupe, les musiciens et les fans du groupe, ce qui a mené plus tard à ce projet-là. C’est parti tout simplement de ça.

Comment êtes-vous passé de la recherche documentaire à l’écriture ?

Je crois qu’en fait, j’avais vraiment compilé… dans mon souvenir, c’était quand même resté assez méthodique, parce que j’avais compilé tous ces petits bouts d’articles d’interviews, sources, extraits de chroniques d’albums, qui expliquaient aussi parfois la signification des textes, ou certaines références musicales sur certains morceaux qui s’inspirait de tel ou tel morceau de tel groupe etc. En gros, assez naturellement j’avais des infos sur chaque album du groupe, chaque tournée liée à ces albums etc. J’ai ensuite mis ça en forme en commençant à écrire, ce qui a donné des chapitres très longs. Ça c’est vraiment pour la biographie.
Après, il y a une partie du contenu du livre qui dépasse la biographie du groupe (le financement participatif permettait d’avoir beaucoup plus de pages que nécessaire pour la biographie). L’idée m’est venue d’interviewer non pas les membres, mais plutôt des proches du groupe. Si la biographie s’est surtout écrite entre 2010 et 2013, j’ai plutôt réalisé les interviews entre 2013 et 2015, parfois en tournée avec le groupe, sur ses dates, ou avec des gens que j’ai croisés à d’autres occasions… et j’ai fait le choix d’interviewer six personnes qui étaient des proches du groupe à divers titres : soit leurs managers, soit la personne qui a crée leur site internet, soit des musiciens qui avaient travaillé avec eux sur certains projets particuliers… ou aussi François Prud’homme qui était leur régisseur de tournée, qui pouvait mener un regard sur la tournée… Un dernier contenu s’est rajouté aussi au moment du financement participatif : vu que c’est un livre écrit par un fan et à destination des fans, j’avais mis quelques contributions à un tarif un peu plus élevé, qui donnait aux fans un petit espace d’expression libre dans le livre. Du coup, il y a cinq ou six personnes qui ont pu écrire un texte autour de ce que représentait Eiffel pour eux : je les ai parfois un peu accompagnées, parfois elles n’ont pas eu spécialement besoin. Je trouvais ça assez chouette d’avoir cette place donnée au public à un endroit du livre.

Combien de temps cela vous a-t-il pris de rassembler tout le matériau nécessaire à l’écriture ?

Ça reste des projets que j’ai faits sur mon temps libre, c’est pas du tout une activité professionnelle. Je n’ai jamais cherché à quantifier le temps passé. Assurément, ce sont des dizaines, voire des centaines d’heures. J’ai vraiment du mal à dissocier ce qui est de l’ordre de la collecte des sources et de l’écriture en elle-même, mais ce sont des centaines d’heures, c’est sûr.

Les photos du livre proviennent-elles toutes des archives du groupe ?

Une grosse majorité des photos et des extraits visuels proviennent d’archives du groupe, qu’ils ont eu la gentillesse me transmettre. Sinon, il y a quelques belles photos de scène : une photographe très fan du groupe et qui les suivaient pas mal (Christelle Hachet) a eu la gentillesse de m’en transmettre. Ce sont ces photos qui sont le plus en pleine page. Il y a aussi quelques photos de moi, car j’avais eu l’occasion de pas mal suivre le groupe en tournée. A l’époque je faisais un peu plus de photographie qu’aujourd’hui.

Tout à l’heure vous disiez que vous avez voulu faire ce travail car vous étiez déjà fan du groupe. Il y a t-il eu d’autres motivations qui ont pu aider ?

Aimer leur musique, aimer beaucoup les textes… Certes, c’est un livre qui parle de musique mais Eiffel est un groupe de rock qui chante majoritairement en français : moi ce qui m’avait toujours touché dans ce groupe, c’était les textes, et de me plonger dedans : donner les explications « officielles » du chanteur, du sens qu’il y mettait, ou l’interprétation et le sens que j’y trouvais, c’était quelque chose qui m’intéressait beaucoup. Et après il y avait un truc assez simple : j’ai toujours aimé beaucoup écrire et c’était une manière d’aller au bout de cette passion-là. Et puis c’est un peu un rêve de gamin que de se dire « J’écris un livre ».

Étiez-vous déjà lecteur de biographies d’artistes avant d’entreprendre ce projet ?

Oui, je pense que dans mon parcours musical, il y a eu une période vers ma vingtaine quand j’étais un peu étudiant, où c’est vrai que j’ai pas mal lu de bouquins de ce type là sur les artistes qui m’intéressaient beaucoup à l’époque. Je ne pourrais même plus trop citer lesquels, mais c’était un moment où je me faisais un petit peu ma propre culture musicale. Et je m’étais mis à lire pas mal de biographies, et peut-être que c’est ce qui m’a inspiré à me lancer dans ce projet-là derrière.

Il y a des interviews d’autres fans de Eiffel dans le livre. Pourquoi les incorporer au reste du travail ?

Le projet du livre était parti d’un truc où on avait un fanzine autour du groupe, dans lequel pas mal de fans écrivaient des petits articles. Partant de ça et étant quand même très lié avec la communauté de fans du groupe, je ne voyais pas comment ne pas laisser de place aux fans dans le livre. Justement, par rapport à des biographies classiques de groupes écrites par des journalistes où tout est centré sur les artistes, moi dans ce livre-là, j’avais envie de donner la vision de ce que c’est qu’un groupe, y compris le fait qu’il y a des gens dans la salle, et que ces gens-là ne sont pas juste une foule, mais c’est des personnes qui ont toutes un rapport particulier avec le groupe en question. Qui peut toucher soit par la musique, soit par les textes, soit les deux. Qui peuvent avoir des souvenirs particuliers liés à ce groupe, et je trouvais important qu’il y ait un espace d’expression pour ça à la fin du livre.

« […] moi dans ce livre-là, j’avais envie de donner la vision de ce que c’est qu’un groupe, y compris le fait qu’il y a des gens dans la salle, et que ces gens-là ne sont pas juste une foule, mais c’est des personnes qui ont toutes un rapport particulier avec le groupe en question. »

Comment le livre a-t-il été reçu par le groupe ? Par les fans ?

Le groupe m’a accompagné sur toute la création, c’est eux qui m’ont donné accès à toutes les infos nécessaires, archives et autres. C’est pas un projet qui s’est fait à côté du groupe : pour eux, la biographie officielle d’Eiffel, c’est celle-là, même si elle est faite par un fan, même si elle n’a pas été éditée par un vrai éditeur, etc. Et du coup, eux étaient hyper heureux d’avoir ce livre. L’une des choses les plus touchantes qu’ils m’aient dit à l’époque, c’est qu’eux même avaient redécouvert des choses en lisant le livre, des choses qu’ils avaient oubliées, des petits détails dont il avaient un peu perdu le souvenir… donc c’était plutôt chouette d’avoir ce genre de retour-là. Et je crois que pour eux, ça reste un truc dont ils sont assez fiers. Et l’une des manières de commercialiser, de diffuser le livre a été de l’avoir pendant plusieurs années au merchandising de leurs tournées. Donc pour eux, ça reste un objet officiel lié au groupe.
Pour la réception par les fans, je dirais qu’ils ont été clairement le premier soutien du projet. Au-delà même de l’existence du livre, ils ont déjà soutenu sa création. Comme je disais, le financement participatif a exceptionnellement bien marché et j’ai récolté entre deux fois et demie à trois fois la somme initialement souhaitée. En moins de vingt-quatre heures le projet était financé. C’était assez fou. Donc en fait l’intérêt, le soutien des fans pour le projet, s’est manifesté déjà à cet endroit là, en rendant la création du livre possible, et même mieux que je l’avais personnellement imaginé, c’est-à-dire en couleur, avec une belle couverture, beaucoup plus de pages, etc. Ensuite, j’en ai écoulé un peu plus de six cents exemplaires en auto-édition totale, moi je n’y connais rien en édition de livre etc, mais on m’a déjà dit que c’était loin d’être ridicule en termes de nombre d’exemplaires écoulés pour un livre totalement auto-édité. Et globalement, ça reste encore un livre pour lequel des gens me contactent, parce qu’ils veulent le trouver car ils sont fans du groupe. Jusqu’à présent j’ai toujours eu plutôt des retours très positifs sur le contenu ou la manière dont il est composé.

Ce projet vous a-t-il apporté de nouvelles opportunités de travail ?

Cela reste quelque chose que j’ai fait sur mon temps libre et qui n’a pas de prétention professionnelle. Ce n’est pas dans le but de devenir journaliste que je l’ai fait. Je savais que j’aimais écrire, que j’écrivais plutôt bien. Peut-être que le fait d’avoir écrire ce livre m’a légitimé sur le fait que je pouvais écrire des trucs, et sur ma capacité d’écriture. J’ai écrit un livre, donc te dire que tu es auteur, c’est comme quelqu’un qui prend une guitare : au début, il a du mal à dire qu’il est musicien, mais en fait à partir du moment où tu joues de la guitare, tu es musicien. En fait quand tu aimes bien écrire beaucoup, tu es écrivain, auteur, et ce n’est pas forcément le fait que ça soit ton métier qui justifie ça. Moi ce n’est pas du tout mon but d’écrire des livres professionnellement. Après, ça ne m’a pas changé la vie dans mon travail. C’est une ligne sur mon CV, mais je ne pense pas que ce soit ça qui change grand-chose quand je cherche du boulot. Par contre, c’est sûr que ça m’a donné d’autres envies pour la suite, pendant quelques années je n’avais plus du tout envie d’écrire quoique ce soit, car c’est assez lourd comme démarche et c’est un peu épuisant. Mais ça m’a donné l’idée que c’était possible d’écrire un livre, c’est beaucoup de travail mais c’est quelque chose que je pourrai refaire dans ma vie, plus tard.

Et sur le plan personnel ?

Forcément, beaucoup de fierté au moment où on a enfin l’objet dans les mains. Pour moi qui ait toujours lu beaucoup dans ma vie, qui ait des livres dans les mains depuis que j’ai cinq ou six ans, en tout cas depuis que j’ai l’âge de commencer à en lire, ça reste un rêve de gamin. Et quand on a enfin l’objet dans les mains et qu’en plus on le trouve beau, on est fier, je pense. Bon, c’est plus ou moins réussi, mais j’avais fait toute la conception graphique aussi en plus d’écrire le livre. La couverture, c’est un patchwork/assemblage que j’ai fait en pleine nuit de divers trucs liés au groupe et je trouve qu’elle est plutôt chouette, cette couverture. Ça m’a peut-être confirmé aussi sur mon côté créatif, des trucs parfois qu’on a du mal à assumer, je trouvais toujours que mes photos étaient moins bien que celles des autres, mais au final, elles sont dans le livre et tout le monde les apprécie.

Quel genre de difficultés avez-vous pu rencontrer dans la réalisation de ce travail, si il y en a eues ?

La difficulté, c’est que plus on remonte dans le temps, plus les souvenirs des gens sont vagues, moins précis, plus parfois les sources sont un peu plus compliquées à trouver. Au moment où j’ai écrit ce livre là, Eiffel avait plutôt du succès, notamment sur un album qui s’appelle « Foule Monstre ». Trouver des sources, des articles et interviews du groupe sur une période assez récente c’était hyper facile, mais en trouver sur la fin des années 90 sur le groupe qui avait même précédé Eiffel, « Oobik & the Pucks », un groupe qui était resté quand même très indé, on était en 1995, autant dire qu’à l’époque sur Internet, il n’y avait rien. Certains des musiciens en question n’étaient plus liés au projet… Je pense qu’aujourd’hui, Internet préserve un peu plus les choses même si il y a des pages qui disparaissent. Beaucoup de choses ne sont pas numérisées avant les années 2000.

Pouvez-vous maintenant nous présenter le contenu du livre que vous écrivez actuellement, « Les Îlots, 10 ans – Florilège de la teuf » ?

Les Îlots Électroniques, c’est une association qui organise des évènements de musique électronique sur Tours depuis une dizaine d’années. 2014, exactement. Et moi, je suis bénévole depuis la deuxième année d’existence de cette association : juste « bénévole lambda » : je porte des barrières, je sers des bières, je vends des tickets pour les boissons… J’ai toujours été investi là-dedans, même si je ne suis pas issu du tout des milieux des musiques électroniques, et que musicalement ce n’est pas trop mon créneau, clairement. Mais j’ai toujours bien aimé ces évènements-là, notamment parce que majoritairement, les évènements qu’ils organisent sont gratuits. D’abord le dimanche, parfois aussi le samedi, mais en tout cas le point de départ c’est les évènements un peu comme ça s’est fait dans plein de villes, avec des trucs comme Bordeaux Open Air, des choses comme ça… il y a eu toute une émergence d’évènements de musique électronique gratuits le dimanche, au début des années 2010 en France. Les Îlots ont apporté ça à Tours. J’ai toujours trouvé ces évènements assez chouettes parce que très populaires, très familiaux, qui cassent un peu les codes des musiques électroniques, les trucs de « teufeurs dans les champs », qui sont un peu hermétiques. Je trouvais que c’était fait très intelligemment, et c’est des évènements assez fun. C’est un peu le pourquoi je me suis intéressé à ce sujet-là, et parce que je suis très lié à cette association, au titre de bénévole et personnel, de fait.

Du coup, les Îlots fêtaient leur dix ans en 2024 et pour ça, à la fin de l’année 2023 ils ont commencé dans les discussions à me parler du fait qu’ils allaient faire une année très particulière pour leur dix ans, puisqu’ils allaient faire dix teufs dans l’année. Donc dix évènements, c’est à dire un évènement par mois, de février à novembre, ce qui est plutôt très ambitieux. A la fois des évènements intérieurs plus l’hiver, et aussi des évènements extérieurs plus l’été. Ils ont commencé à me parler de ça, et parfois il y avait des évènements un petit peu particuliers qui n’était pas habituels pour les Îlots, par exemple le fait d’aller dans l’Île d’Oléron. Il y avait aussi des évènements dans des parcs à Tours, comme ils avaient l’habitude de faire. Donc quand on a commencé à parler de cette année un peu particulière, je me suis dit qu’il y avait des choses à raconter autour de ça et autour de ce qu’il s’était déjà fait au cours des dix premières années des Îlots. Le fait d’être bénévole a fait que j’ai beaucoup côtoyé cette association. Et c’est vrai que depuis que j’avais fait mon premier livre sur Eiffel, je m’étais toujours dit que si j’en écrivais un second, ça pourrait peut-être être sur un truc qui valorise la question de l’engagement bénévole ou associatif. Mais je n’avais jamais trouvé de sujet ou d’angle sous lequel le traiter, ou de terrain et de recherche, d’associations de choses qui pourraient me donner envie d’écrire quelque chose sur ces bénévoles ou autre. Et en fait, ça s’est un peu croisé entre cette année très particulière pour les Îlots. Avec plein d’évènements un peu atypiques, qui allaient permettre d’écrire des choses dessus, et de me dire que si l’on revient sur les dix années qui sont passées, il y a sûrement plein de choses à écrire. Sur ce que c’est que les Îlots en tant qu’association, ce que ça représente pour plein de gens. Notamment les bénévoles, et un axe qui était assez fort pour moi dès le départ, c’était l’idée des parcours de vie qui ont été changés ou transformés grâce aux Îlots. Il y a énormément de gens qui étaient bénévoles aux Îlots qui sont aujourd’hui régisseurs, régisseuses pour des festivals, qui ont fait leur métier de bosser dans les bars de ces festivals…

Donc à proprement dit, ce n’est pas vraiment un livre de mémoires des Îlots. 

Ce n’est pas du tout une biographie des Îlots Électroniques parce qu’au final dans le livre, il y a très peu de contenus que j’ai écrit. Il y a quelques chapitres, où j’écris notamment quelque petits textes sur les dix évènements de l’année 2024. Mais sinon, 80 % du contenu du livre, ce sont des interviews et des entretiens, des extraits d’interviews que j’ai réalisées avec plus d’une centaine de personnes qui gravitent autour des Îlots Électroniques, et que j’assemble de manière très « chorale », comme si je recréais une sorte de dialogue entre une centaine de personnes qui ont tous, d’une manière ou d’une autre, des liens avec les Îlots électroniques. Ça peut être des bénévoles, des artistes, des gens qui sont à la technique, la personne qui fait le catering sur les évènements, des gens de la mairie de la ville de Tours, leurs brasseurs de bière… et beaucoup de gens du public aussi.

Pourquoi écrire l’historique d’un festival ou d’un projet culturel comme celui ci ?

J’ai l’impression que c’est important, et quand je dis important, c’est que j’ai aussi envie que les gens que j’ai interviewés, qui ont crée cette association il y a dix ans, (certains, je pense, en ont ou moins conscience) se rendent d’autant plus compte de ce qu’ils ont fait, que ce à quoi ils ont participé est important. Souvent, quand on est impliqué dans une association, on perd un peu de recul sur ce qu’on fait, on est tellement dans le « faire » qu’on ne se rend plus compte au final de l’ampleur que ça peut avoir, de l’importance que ça a pour les gens qui gravitent autour… moi, j’ai encore tendance à penser que les livres restent plus que les contenus numériques, en tout cas qu’on ira plus les regarder dans vingt ou trente ans dans son étagère qu’une vidéo d’un évènement qui a de nombreuses années et dont on a perdu la trace numérique. Je pense donc que cela permet de garder cette mémoire-là. Pour travailler dans le secteur culturel, étant donné que le livre est un projet totalement bénévole, on parle souvent de notions comme « les droits culturels », « l’utilité sociale »… ce sont souvent des concepts qui peuvent rester un peu vagues et derrière lesquels on ne sait pas quoi mettre exactement, et j’ai l’impression que les réponses de la centaine de personnes que j’ai interviewées et que je compile dans ce livre derrière diverses thématiques, sont assez concrètes par rapport à ça. C’est à dire ce que sont les droits culturels, le fait de se dire « Je suis bénévole dans une association de musique électronique, trois ou quatre ans après je me mets à mixer parce que je n’arrête pas de voir des DJ, et en fait deux ans plus tard c’est moi qui ouvre sur la grande scène de ce festival là, alors que quand j’ai commencé, je venais juste servir des bières et ne pensais pas être un jour DJ… ». Quand je parlais d’utilité sociale, j’évoquais tout le côté parcours de vie, et le fait d’avoir des gens sui, parce qu’ils sont bénévoles, se rendent compte que leur envie première dans la vie, ce n’est pas d’être prof d’anglais, mais de faire technicien lumière sur des tournées de groupe, et qu’ils sont très bons pour ça car ce sont des gens très créatifs. Et avoir un petit terrain de jeu, d’expérimentation qui est le bénévolat dans une association pour commencer à se lancer là dedans avant de devenir au final professionnel quelques années plus tard, c’est quelque chose que je raccorderais à la question de l’utilité sociale, donc pour moi, c’est vraiment les axes que j’avais envie de mettre en valeur dans ce livre là, même si ça parle de plein d’autres sujets, des musiques électroniques et d’art en général…

En guise de dernière réponse, il y a-t-il quelque chose que vous voulez ajouter, autour de quoi je n’aurais pas posé de question ?

Dans la démarche documentaire, qui a été prise sur ce deuxième livre très basé sur la récolte de témoignages, on s’est inspiré sur un livre déjà existant sur Tours, qui a été fait il y a quelques années de ça autour des trente ans de Radio Béton, une radio emblématique du territoire et organisatrice du festival Aucard de Tours, et donc effectivement, ils ont fait ce très gros livre autour de la radio. Eux avaient déjà eu ce parti pris d’interviewer des personnes, cent cinquante personnes à peu près, liées de près ou de loin à la radio ou au festival. Ils étaient sur une approche chronologique alors que moi, c’est plus thématique. En tout cas, ça été une source d’inspiration un peu prioritaire et forte pour la manière de travailler sur ce livre-là, on a pas « copié-collé » la manière de faire, mais en tout cas, on s’est inspirés de la méthode en se disant que les personnes les plus à même de parler du sujet, c’est les gens directement concernés par celui-ci. Et finalement celles qui en ont le plus la mémoire, c’est d’abord celles qui ont vécues les choses, tout simplement.

Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :

« LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE ! »

4 témoignages autour des enjeux de transmission de la mémoire du secteur et de ses projets

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