LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE !
ENTRETIEN 1/4
STÉPHANIE COULAIS
CODIRECTRICE DE L’UPCP-MÉTIVE, EN CHARGE DU CENTRE D’ÉTUDES,
DE RECHERCHE ET DE DOCUMENTATION SUR L’ORALITÉ (CERDO), PARTHENAY
Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :
« LES MUSIQUES ACTUELLES ONT DE LA MÉMOIRE ! »
4 témoignages autour des enjeux de transmission de la mémoire du secteur et de ses projets
« L’imagination, c’est de la mémoire fermentée. » Milan Kundera
Près de 45 ans après l’apparition du terme « Musiques Actuelles » et des années de structuration continue du secteur et des politiques publiques qui l’accompagnent, les enjeux de renouvellement, d’inclusion et de transmission apparaissent extrêmement forts au sein de ses structures. La mémoire du secteur (et de ses projets) constitue l’une des clés pour conserver la capacité d’impulser continuellement de nouvelles dynamiques collectives et les valeurs d’indépendance, d’éducation populaire et de défense de la diversité qui lui ont permis de se développer.
Afin d’aborder ce sujet et la manière dont il interroge ou peut servir les pratiques des acteurs des Musiques Actuelles, nous avons choisi d’interroger quatre personnes, qui ont travaillé sur ces enjeux de mémoire (conservation, valorisation, patrimonialisation, …) ou bien les ont traversés tout au long de leur carrière, « en faisant ».
Entretiens réalisés par Emma Roche, en Service Civique au RIM, en début 2025
STÉPHANIE COULAIS
Stéphanie Coulais occupe le poste de Codirectrice à l’UPCP-Métive, en charge du Centre d’Études, de Recherche et de Documentation sur l’Oralité (CERDO) à Parthenay.
Le CERDO est l’un des projets de l’UPCP-Métive : pouvez-vous d’abord nous expliquer ce qu’est l’UPCP ?
L’UPCP-Métive est une association qui s’est crée en 1969 dans l’idée de la nécessité de la sauvegarde, la transmission et la valorisation de la culture orale, rurale et régionale. Circonscrire le territoire : c’est lié à un territoire culturel qui correspond à l’ancien Poitou (la Vendée, les Deux-sèvres, la Vienne et les Charentes). Ces cinq départements qui constituent l’ensemble culturel relatif à la culture Poitevine-Saintongeaise. C’est aussi lié à la langue régionale, c’est comme ça qu’on définit les limites de ce territoire-là. Fin des années soixante, des gens se disent que c’est extrêmement important de sauvegarder cette mémoire-là, cette culture qui est amenée a disparaître si on n’en prend pas soin et si on ne se soucie pas de la transmettre. Ça s’est fait d’abord au sein d’associations réparties sur tout le territoire, qui se sont approprié les chants, les musiques, les savoir-faire et toutes les connaissances liées aux connaissances et pratiques orales du territoire. Pour approfondir tout ça, ils sont allés à la rencontre des habitants du territoire pour leur demander quels sont ou quels ont été leurs modes de vie, leurs connaissances sur telle ou telle thématique. Et pour en garder une trace, ils ont réalisé des enregistrements. C’est l’apparition des enregistreurs portatifs, analogiques, cassettes, bandes… c’est aussi le développement des films, caméras Super 8 et autres formats, donc ça devenait un peu plus facile de fixer cette mémoire-là qui, avant, n’avait pas été tant que ça prise en compte, ou en tout cas dévalorisée.
Cette démarche-là est au centre de ce qu’est l’UPCP-Métive aujourd’hui. Là, on parle de gens qui se sont réunis en association, se sont structurés pour faire ces démarches de sauvegarde et de transmission. Ce faisant, ils se sont organisé et ont oeuvré dans un esprit d’éducation populaire. Des choses d’envergure se sont créées : des spectacles, des choses qui ont pu tourner jusqu’à l’étranger, des échanges avec des groupes et des pays étrangers… Donc au sein de cette UPCP naissante dans les premières années, il y a pu avoir cette démarche-là où des gens se sont professionnalisés ou ont acquis une expérience qui leur a donné une légitimité artistique, de création, d’interprétation, de recherche technique. Ça a donné naissance à beaucoup de professionnalisation dans le domaine de la régie technique, son, lumière etc. L’UPCP s’est structurée, elle s’est d’abord trouvée dans le sud Deux-Sèvres, dans un lieu appelé « Les Ruralies », en lien avec un musée lié à la ruralité et le machinisme agricole, sur une aire d’autoroute. Elle est ensuite arrivée en 1993 à Parthenay sur la volonté de la municipalité de l’époque, et en dégageant beaucoup de fonds européens du Ministère, de la Région, de la Ville aussi, pour que l’UPCP soit accueillie à Parthenay en tant que tête de réseau d’un ensemble d’associations réparties sur tout le territoire. Cela dit, bien que ce soit une union – même si aujourd’hui l’UPCP est identifiée à Parthenay – il s’agit bien d’un réseau d’associations réparti sur les cinq départements.
Donc aujourd’hui, l’UPCP, c’est en même temps des actions dans le domaine de la création-diffusion, avec la mise en place d’un festival qui existe depuis trente-sept ans (le festival De Bouche à Oreille qui a lieu chaque année, hormis exceptionnellement l’année dernière et l’année du Covid). C’est un festival d’inspiration traditionnelle mais qui met en avant des esthétiques diverses. C’est un lieu de rencontre de toutes ces esthétiques qui s’appuient sur les musiques, chants et danses de tradition orale. C’est l’une des vitrines les plus visibles. Il y a également une saison qui se déroule à Parthenay et ça peut être avec les associations du réseau. On est en train d’écrire notre projet actuellement et cette saison on va d’ailleurs essayer de le construire de plus en plus avec les acteurs du réseau, donc de moins se trouver sur Parthenay. Cette saison se construit avec d’autres réseaux associatifs, mais aussi d’autres acteurs culturels. Ça peut être Diff’art à Parthenay, l’association « Ah », Le Nombril du Monde à Pougne-Hérisson pour les plus proches localement, mais pas que. On accueille aussi beaucoup de résidences d’artistes : on a un lieu qui est propice à cela, puisqu’on a une salle de spectacle qui permet de faire des sorties de résidence et un équipement dans lequel se trouve aussi le CERDO où les artistes en résidence peuvent venir chercher de la matière pour leurs créations.
Un autre volet important, c’est la transmission qui inclut la formation et l’éducation artistique et culturelle. Nous portons une formation de formateurs qui peut s’adresser à la danse traditionnelle, alors que dans ce domaine, il n’y a pas de lieu d’enseignement reconnu avec diplôme à la clé qui permet d’avoir une reconnaissance de compétences de transmission en danse traditionnelle. Ce n’est pas le cas pour la musique : là il y a des lieux qui le sont. Là, on va mettre une formation en place autour de la « musique verte ». C’est tout ce que l’on peut fabriquer comme matériel à partir d’éléments végétaux, que l’on trouve autour de soi. Cela peut être autour de la langue régionale, également, qui se développe de plus en plus. On est en lien avec l’Université de Poitiers à ce sujet. En éducation artistique et culturelle : on a un catalogue que l’on a réactualisé pour l’année scolaire. On occupe un lieu qui est la « Maison des Cultures de Pays », qui est un bâtiment municipal mis à disposition par la ville de Parthenay et qu’on partage avec le Musée d’Arts et d’Histoire de Parthenay. Avec la ville, nous avons en charge la co-gestion de ce lieu. Je parlais d’une salle de spectacles : elle est équipée au niveau éclairages et lumières et permet d’avoir des propositions de spectacles, de résidences… Ce lieu est également occupé par d’autres acteurs culturels du territoire. Nous avons la gestion au niveau de la régie, notre régisseur est mis à disposition des différents usagers de cet espace-là.
En quoi consiste le CERDO aujourd’hui ?
Le CERDO est le centre de ressources de l’UPCP-Métive (Centre d’Etudes, de Recherches et de Documentation sur l’Oralité), et nous accueillons l’ensemble des fonds qui ont été réalisés par les associations du réseau, ou par l’UPCP en tant que telle.
Ces fonds d’archives sont composés d’enregistrements sonores, audiovisuels, de documentation papier, d’iconographie… et cela depuis la fin des années soixante, ce qui nous amène à mettre en place un travail de numérisation pour les documents de cette époque-là, puisqu’ils sont enregistrés sur des supports qui nécessitent d’être numérisés si on veut pouvoir les consulter aujourd’hui. Nous organisons la gestion de ces documents, la numérisation et le traitement documentaire, qui consiste à prendre connaissance de façon très fine de ces documents : c’est à dire les écouter, les regarder, les décrire de façon très fine, pour pouvoir ensuite accéder au contenu et savoir dire quels sont les contenus et les thématiques que l’on va pouvoir trouver sur tel ou tel document.
Les répertoires de musiques, chants, danses, contes traditionnels constituent 70% du contenu. Dans ce qui reste, on va trouver des témoignages sur des savoir-faire, sur des métiers, des coutumes, des mythes, des légendes, des choses très pragmatiques de la vie quotidienne dans le monde rural, la cuisine, l’éducation, la vie des femmes, les rapports entre les femmes, les hommes, les différentes catégories sociales… Cela aborde tout un tas de sujets qui peuvent toucher aussi les sciences humaines et sociales et de manière transversale la question de la langue. Ces témoignages peuvent être emprunts de langue régionale que l’on nomme le « Parlanjhe » ou « Poitevin Saintongeais », ou « Patois » (mais qui n’est pas un terme très valorisant, c’est pour ça que l’on ne l’utilise pas beaucoup). Par rapport au CERDO et toute cette chaîne documentaire que j’ai décrite de la numérisation et de la valorisation, nous ne sommes pas seuls à l’avoir travaillée et mise en place : ça s’est fait depuis plusieurs décennies. Quand rien n’existait dans ce domaine, on a travaillé avec d’autres acteurs répartis sur tout le territoire. Nous sommes une petite dizaine d’acteurs sur le territoire. Nous sommes aussi en lien avec la Bibliothèque Nationale de France.
Tout ça pour dire que le travail qu’on mène, ce n’est pas une méthode qu’on applique au CERDO de façon isolée. C’est quelque chose qui est réfléchi et construit avec d’autres acteurs du territoire et qui a une valeur auprès de ces autres acteurs, notamment des institutions telles que la BNF (Bibliothèque Nationale de France).
En terme de valorisation, ce qu’on décrit, on le met en ligne via notre base de données (cerdo.fr). C’est une base de données sur laquelle on peut faire des recherches brutes, où l’on va retrouver les enquêtes ethnographiques dont j’ai déjà parlé. C’est brut, dans le sens où il y a toutes les caractéristiques de ces enquêtes : ça peut être des hésitations, des enregistrements de qualité plus ou moins bonnes, des personnes qui font appel à leur mémoire et qui ont du mal à la retrouver, ce sont des personnes âgées, dont parfois des musiciens. Les doigts sont un peu rouillés, les instruments pas toujours accordés… C’est une matière qui est brute, que l’on organise en outil, de sorte à pouvoir la proposer facilement en accès à nos usagers.
Comment s’inscrit le CERDO dans le projet plus global de l’UPCP-Métive ?
Quelque part, le CERDO est aujourd’hui au cœur des activités de l’UPCP. Il va nourrir la création artistique, les supports utilisés par les formateurs en musique et danse traditionnelle, qu’il s’agisse de formateurs qui se trouvent en école de musique ou en conservatoire, dans des ateliers organisés par nos associations du réseau ou même en dehors. À Poitiers par exemple, il y a des cours d’accordéon diatonique ou d’instruments traditionnels qui sont donnés indépendamment de l’UPCP. Donc c‘est au cœur des missions principales de l’UPCP-Métive, dans le sens ou ça nourrit la transmission et la valorisation. Ça permet aussi de nourrir les actions qui émanent directement du CERDO, à savoir les dossiers thématiques en ligne, mais également les expositions ou des colloques qu’on met en place, sur des thématiques variées.
Comment le fonds documentaire s’est-il constitué et structuré au CERDO ?
Je peux peut-être préciser une chose : l’UPCP existe depuis 1969. Elle est arrivée à Parthenay en 1993 et le CERDO est arrivé plus tard, en 1994, parce que les premières collectes ethnographiques, lorsqu’elles ont été réalisées, n’ont pas été constituées dans l’idée de créer un fonds documentaire à proprement parler. Les gens sont allés enregistrer les « anciens » pour récolter leur savoir et le réutiliser immédiatement. L’idée, c’était d’apprendre une musique, par exemple un air. On va le récolter auprès d’un ancien, on l’apprend tout de suite pour le réinjecter dans un spectacle ou dans des répertoires qu’on s’enseigne et qu’on joue les uns avec les autres, mais pas du tout dans l’idée de se dire « on va faire un centre de ressources et les gens iront ensuite puiser dans ce centre de ressources ». D’ailleurs, concernant les premières collectes qui ont été faites, souvent, une fois le dépouillement effectué (c’est à dire que les notes ont été relevées et que les gens ont mémorisé les airs), les gens réenregistraient par dessus d’autres enquêtes, ce qui aujourd’hui est un scandale absolu quand on parle d’enquête ethnographique. Il n’y avait pas cette idée de dire que les collectes finiraient dans un centre de ressources documentaires.
C’est ensuite, une fois que l’ampleur de la documentation qui a été réalisée a été perçue, que les gens de l’UPCP se sont dit qu’il fallait créer un outil qui rassemble toute cette matière au sein de l’association. C’est là que le CERDO s’est créé.
Et donc, quelles sont les premières ressources que vous avez rassemblées pour commencer ?
Ce sont les enquêtes ethnographiques qui ont été réalisées auprès des habitants du territoire sur leur savoir en général. Je parle d’une chose qui revient souvent. La méthode pour aller à la rencontre de ces gens s’est beaucoup faite au cours de stages « OSTOP». Acronyme qui veut dire « Opération Sauvetage de la Tradition Orale Paysanne ».
Le fait même de parler d’ « opération de sauvetage » ça donne un peu l’envergure de la démarche : il y a une notion d’urgence et une mort certaine qui opérera si rien n’est fait. Donc l’idée, c’était de créer ces stages souvent qui se déroulaient durant les vacances de février, encadrés par l’UPCP et des gens aguerris à l’ethnographie.
Il y avait notamment un ethnologue régional, Michel Valière, qui est l’un des deux fondateurs de l’UPCP-Métive (UPCP, à l’époque) avec André Pacher. Ensemble, ils ont formé des équipes de jeunes qui allaient sur tout le territoire, accueillies à chaque fois par des associations locales. Pendant une semaine, les groupes se déployaient et allaient à la rencontre des habitants, pour les enregistrer et réaliser ces enquêtes ethnographiques. Souvent, cela se terminait par une veillée dans la commune la plus grosse du canton, où on rassemblait les différentes personnes qui avaient été enregistrées. Le tout donnait lieu donnait finalement lieu à d’autres enregistrements. C’est à ce moment-là, en général, qu’on filmait pour en agrder des traces. Voilà comment cela se déroulait. Ça donnait encore lieu à d’autres enregistrements. C’est à dire que les stages permettaient de découvrir en quelque sorte ce qu’on appelle des « informateurs ». Ensuite, des gens un petit peu plus aguerris retournaient les voir pour continuer les enquêtes et obtenir un maximum d’informations.
Comment la création du CERDO a-t-elle été reçue ?
Je ne peux que supposer car je n’étais pas là à ce moment-là, mais je pense qu’elle a été reçue comme un soulagement. Les associations et les gens (car il y a eu des enquêtes faites par des particuliers) n’avaient pas pour but de garder les enquêtes qu’ils réalisaient. Comme je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, c’était vraiment dans l’idée d’avoir une trace, pour ensuite s’approprier les répertoires et les réinjecter dans leur activité. Or, le fait d’avoir des cassettes, des bandes, des photos, ça générait une documentation qu’ils n’avaient pas forcément les moyens de gérer correctement. Ça leur permettait de se décharger de cette responsabilité-là et d’avoir un lieu avec, à la fois, l’espace pour, les compétences et du personnel salarié (car ce sont des bénévoles, dans les associations du réseau) pour s’occuper de ces enregistrements. Je pense donc qu’elle n’a pu être que chaleureusement accueillie.
L’approvisionnement en nouvelle documentation est-il continuel ou périodique ?
L’UPCP est-elle en recherche permanente de nouveaux documents ?
Alors effectivement, on est plus du tout sur le même processus de collecte aujourd’hui. Car ce dont je parlais avec les opérations de sauvetage, c’est vraiment quelque chose qui se faisait en masse et de façon systématique, surtout. D’une part, parce qu’on ne cherche plus la même chose et qu’on n’a plus les mêmes ressources sur le territoire en terme d’anthropologie. Là aussi, on n’a plus forcément les informateurs qui pourraient nous livrer des chansons des répertoires de musiques traditionnelles.
En revanche, on fait des collectes avec les projets qu’on anime. Par exemple, nous avons depuis quelques temps mis en place un projet, qui est une mallette pédagogique numérique de la culture Poitevine-Saintongeaise. Le premier volet est sur la langue/culture Poitevine-Saintongeaise sur laquelle mon collègue médiateur a travaillé, a rassemblé de la documentation et des ressources pour créer un outil qui soit actuel, dans les usages de transmission de la langue. Pour ce faire, il est allé à la rencontre de locuteurs et les a enregistrés. On est ici à la fois sur un processus de collecte et de valorisation.. On peut dire quand même qu’il y a des enquêtes qui continuent à être menées, toujours avec un projet en ligne de mire. C’est la condition aujourd’hui : c’est à dire qu’on ne fait pas de la collecte pour la collecte, on le fait parce qu’il y a un projet derrière.
Je précise aussi que les collectes anciennes ont été faites par des associations ou des particuliers. Ils étaient bénévoles. L’UPCP, avec son équipe permanente n’a jamais eu pour mission de réaliser des collectes. Elle a pour mission de s’en occuper, de les sauvegarder et de les valoriser. Aujourd’hui quand l’UPCP en tant que telle fait de la collecte, c’est toujours en lien avec un projet actuel. Mais on a pour ambition, cela pourrait rentrer dans la formation de formateurs, de continuer la formation au collectage (on a déjà fait ça l’année dernière avec un stage d’initiation au collectage) pour que les gens dans les associations du réseau ou sur le territoire puissent avoir des moyens en terme de connaissance. On peut aussi mettre à disposition du matériel pour que les gens aillent réaliser des collectes.
« On considère que la culture régionale, orale, le patrimoine culturel immatériel est un bien commun et collectif. On se doit de le protéger et de le transmettre pour continuer à le faire vivre. »
Par rapport à ce travail de valorisation de fonds, et à son utilité : quelles sont les raisons de sa création ?
On considère que la culture régionale, orale, le patrimoine culturel immatériel est un bien commun et collectif. On se doit de le protéger et de le transmettre pour continuer à le faire vivre. On considère que les droits liés à sa propre culture sont des droits qui n’ont pas à être remis en question et qu’on se doit de participer à la transmission de la culture régionale, parce que c’est indispensable de savoir d’où on vient pour savoir où on va. C’est indispensable, on continue à le dire, de connaître ses racines, les particularités et connaissances d’un territoire. C’est quelque chose qui favorise l’ouverture aux autres cultures que l’on côtoie. C’est nécessaire pour éviter le repli sur soi, tout ce qui est identitaire, la crainte et la peur des autres engendrées par la méconnaissance. Se connaître soi-même ou reprendre contact avec les cultures de la région, cela peut permettre d’avoir une assise favorable à l’ouverture aux autres cultures. C’est la contribution de l’UPCP dans ce sens-là et c’est ce pourquoi on est accompagnés. On est financés et soutenus par le Ministère de la Culture, la Région Nouvelle-Aquitaine, le Département des Deux-Sèvres, la Communauté de Commune de Parthenay-Gâtine et la Ville de Parthenay.
Qu’implique l’intégration de nouvelles ressources et de nouveaux documents au centre de documentation ?
Cela implique, très trivialement, d’avoir des espaces de stockage. Surtout qu’aujourd’hui on travaille beaucoup avec l’image – c’était moins le cas avant – mais aussi du temps nécessaire à la description du contenu. Je ne l’ai pas précisé, mais pour les enquêtes faites autrefois, on est très loin d’avoir décrit et numérisé la totalité des fonds. C’est encore quelque-chose qu’on doit faire et qui est d’ailleurs problématique car on a peu de moyens alloués à ça. Nos moyens sont essentiellement tournés vers la valorisation, qui passe par la transmission, la diffusion artistique… mais on a très peu de moyens pour la numérisation, le traitement documentaire et la mise à disposition des archives, qu’elles soient passées ou actuelles.
Rencontrez-vous des enjeux liés à la conservation et des difficultés aujourd’hui sur l’archivage ?
Oui. Pour ce qui concerne les archives anciennes (celles sur supports analogiques), ce sont des supports qui se dégradent, qui ne sont pas pérennes. L’enjeu aujourd’hui, c’est de tout numériser avant qu’on ne puisse plus lire les signaux qui sont enregistrés sur ces supports anciens. Or, notamment en terme d’audiovisuel, on sait que c’est le cas, on a déjà des documents qu’on ne peut plus lire. Notamment, on a des choses qui sont enregistrées sur vidéo demi-pouce, un support qui date du début des années quatre-vingt dix et ça, aujourd’hui, c’est illisible. Donc, l’enjeu est là : de pouvoir numériser, transférer des supports anciens. Je précise que pour le son, on a un atelier de numérisation ici, qui nous permet de transférer la plupart des supports, en revanche, ce n’est pas le cas pour l’audiovisuel. Il faut alors qu’on fasse appel à un prestataire extérieur et c’est un coût, à chaque fois qu’on veut numériser de l’audiovisuel.
Voyez-vous des enjeux délaissés à l’UPCP ?
Numériser des supports anciens, car nous ne sommes pas financés pour ça. On peut dire que ça a été délaissé puisqu’avant, nous percevions une aide financière de la Bibliothèque Nationale de France. Cela passait par la FAMDT (Fédération des Actrices et acteurs de Musique et Danse Traditionnelle), une fédération à laquelle on adhère au niveau national. Cette fédération était en lien avec la BNF et nous redistribuait à la fois le travail et les ressources financières pour numériser et décrire nos fonds. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Je dirais « délaissé » ou en tout cas « pas pris en compte ». Prenons l’exemple du FFestival de Bouche à Oreille qui existe depuis de nombreuses années : il a été enregistré, mais on n’a pas de travail qui permet de numériser ces enregistrements, ni de les valoriser. Aujourd’hui, systématiquement, le festival est enregistré à partir de la table de la régie, on a ça dans un coin, mais ce n’est pas visible.
Ce travail peut-il être inspirant pour les autres esthétiques des Musiques Actuelles ?
J’imagine que ça peut être la même chose sur ce que je viens d’évoquer, j’imagine qu’ils créent des archives lors de la réalisation de leurs évènements, en enregistrant ou en faisant des photos ou des vidéos. Parce que nous, on a un système d’archivage, c’est à dire qu’on a une sauvegarde en plusieurs exemplaires de nos contenus, on a mené une réflexion, mais je ne suis pas sûre que d’autres acteurs du domaine des Musiques Actuelles aient ce système-là en place. Je ne sais pas comment ils font, mais j’imagine que lorsqu’ils font un spectacle, ils le filment, l’enregistrent et mettent cela sur un disque dur, voire sur un deuxième pour sauvegarder, mais ça ne va pas au-delà. Ça, en soi, ce n’est pas une sauvegarde pérenne et elle est rarement exploitée.
Quelles sont les compétences particulières nécessaires à votre activité ?
Au CERDO, on est « trois et demi ». Moi, je suis co-directrice en charge du CERDO et je coordonne les activités qui sont spécifiquement sur ce secteur ainsi que celui de la formation et de la transmission. On a une documentaliste spécialisée (ce qui est aussi ma formation au départ). Ça permet d’amener des compétences en terme de gestion de la chaîne documentaire depuis la sauvegarde des originaux jusqu’à la valorisation et la mise en ligne. Ça passe aussi par des connaissances en terme de gestion de base de données et également de leur mise en place. On a changé d’outil l’année dernière et j’ai une collègue qui a vraiment dû « mettre les mains dans le cambouis » pour travailler avec le prestataire et adapter la base de données et l’outil à nos besoins, qui sont très différents d’une base de données de médiathèque, par exemple. Voilà pour Sandra, nous avons aussi Gilles qui est en mi-temps sur de la numérisation d’archives audiovisuelles, plutôt sonores, sur quelques supports audiovisuels (vidéo, précisément) et iconographiques (là aussi supports anciens, diapositives, négatifs, supports papier)… donc des compétences de technicien opérateur de numérisation. Et puis Yacoub, qui est médiateur documentaire. A travers les thématiques qu’on dégage ensemble, il met en valeur les ressources du CERDO en créant des outils adaptés.
« Peut-être qu’on pourrait apporter (aux autres esthétiques musicales) certaines de nos compétences sur une réflexion à engager sur la sauvegarde à engager des archives aujourd’hui. »
Est-ce que l’UPCP créé des nouvelles sources, en terme d’archives ?
Oui, en lien avec ce que je disais tout à l’heure quand on réalise des collectes en lien avec les projets actuels, ce sont des nouvelles sources. C’est le cas quand on enregistre et filme nos évènements et actions (concerts, spectacles, conférences). Par exemple, on a fait une formation en danse avec des formateurs, elle était filmée et chacun d’entre eux a amené ses propres ressources (qu’elles soient sonores ou audiovisuelles) donc on continue à alimenter les sources.
Le CERDO est essentiellement fondé sur les collectes ethnographiques, leur sauvegarde et valorisation, mais peut aussi avoir la préoccupation de l’archivage des musiques qui se créent aujourd’hui et se produisent aujourd’hui. Hors, ce n’est pas réellement réfléchi, on en parle, mais il n’y a pas d’action concrète de notre coté. On produit des choses : l’UPCP a aussi des activités liées au spectacle vivant et a la création artistique mais ça, ce n’est pas aussi systématiquement filmé que nos archives et on ne s’en occupe pas, concrètement. Nous n’avons pas de politique de sauvegarde et de traitement de ces nouvelles archives, qu’on créé aujourd’hui.
Je me dis que le travail que le RIM mène à travers ces entretiens peut être une occasion pour nous de participer à cette patrimonialisation-là. On a un savoir-faire et des homologues sur la France, avec qui on travaille pour ce qui est de la production, mais il n’y a pas de réflexion qui aboutit à des actions concrètes, définies et avancées.
Cette interview s’inscrit dans le projet porté par le RIM :
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