Ré-ouvert fin 2017 après deux ans de travaux, le Confort Moderne (Poitiers) accueillera en mai prochain, dans ses 8500m² entièrement réhabilités, l’assemblée Générale du RIM – Réseau des Indépendants de la Musique.

L’occasion pour le réseau des acteurs musiques actuelles en Nouvelle-Aquitaine de revenir sur Retour sur l’histoire de ce lieu mythique, friche artistique pionnière, qui rassemble aujourd’hui sous un même toit quatre structures en coopération : l’Oreille est Hardie et Jazz à Poitiers (toutes deux adhérentes du RIM), le disquaire indépendant Transat et la Fanzinothèque. Art, musique, fanzine, éducation et recherche investissent une salle de concert, un club, un bar, des locaux de répétitions, un restaurant, des espaces de résidence, une fanzinothèque et une boutique de disques.

Ces équipes passionnées font naître ensemble des projets en commun. Interview croisée.

De droite à gauche : Yann Chevallier / Directeur de L’Oreille est Hardie
Mathilde Coupeau / Directrice de Jazz à Poitiers
Lionel Bouet / Gérant de Transat
Virginie Lyobard / Directrice de la Fanzinothèque

RIM : Pouvez vous nous présenter vos structures, réunies toutes les 4 au Confort Moderne?

Mathilde : Jazz à Poitiers a 21 ans. C’est une SMAC (Scène de Musiques Actuelles) spécialisée dans le jazz & les musiques improvisées avec un gros volet de diffusion (environ 40 dates par saison et le festival Bruisme juste avant l’été), un volet accompagnement (accueil en résidences essentiellement) et des actions de médiation qui commencent à se développer. On est une petite équipe de quatre salariés.

Virginie  : La Fanzinothèque existe depuis 1989 et a pour vocation de conserver et valoriser des livres micro-édités : 55000 ouvrages à ce jour. C’est vraiment le cœur du projet, et on organise également des événements à travers des expositions ou des interventions type atelier de micro-édition collective. Enfin on produit également des fanzines ou d’autres types de supports via un atelier de sérigraphie, une imprimante Riso ou de l’impression numérique.

Lionel : Transat, disquaire indépendant, est implanté au Confort Moderne depuis 17 ans.

Yann : L’association l’Oreille est Hardie a été crée en 1977 et elle est active sur cette friche artistique depuis 1985. Elle compte 16 salariés avec le développement d’une double activité musiques actuelles et art contemporain.

Espace d’exposition ©Pierre Antoine – Exposition Tainted Love (16 décembre – 04 mars 2018)

RIM : Quels sont les liens historiques qui vous amènent aujourd’hui à vivre à quatre structures dans le même lieu ?

Mathilde : Le premier lien de connexion entre Jazz à Poitiers et l’équipe de l’Oreille est Hardie c’est avant tout des accointances d’ordre artistique. Les deux projets artistiques défendus par chacune des associations sont extrêmement complémentaires avec des passerelles très évidentes. Progressivement, les équipes ont donc été amenées à travailler régulièrement ensemble, notamment sous forme de coproductions. L’idée de cohabiter et partager un même équipement a germé depuis maintenant pas mal d’années, mais assez rapidement les limites du Confort Moderne dans son ancienne configuration ont fait que ça n’a pas pu aboutir. Ces réflexions ont repris quand le projet de réhabilitation du Confort a émergé puis est devenu vraiment concret. C’est donc un rapprochement qui a été très naturel et de longue date. Ce sont de vraies histoires de personnes également.

Lionel : Très naturel, c’est aussi le terme que je vais employer. La boutique de disques existe depuis 1987 au sein du Confort Moderne. Cela a d’ailleurs créé une émulation un peu partout et a servi de fanal à pas mal de SMACs des environs pour avoir elles aussi un disquaire. Moi je n’ai fait que reprendre cette idée et le lieu !

Yann : Il y a effectivement des rapprochements naturels de projets. Ensuite il y a une histoire liée au site : un lieu qui, naturellement, est amené à être activé par plusieurs personnes et structures, un peu comme un dispositif avec différentes portes d’entrée. Finalement il y a eu naturellement l’installation de ces portes d’entrée comme Transat ou la Fanzinothèque qui, elle aussi, a toujours mené ses activités ici. Jazz à Poitiers a, par le passé, déjà produit ici, notamment le festival Bruisme. Donc il y a historiquement un lieu qui se prête au partage d’espace et de projet.

Mathilde : On va dire qu’à la différence de Jazz à Poitiers, la Fanzinothèque et Transat sont des habitants historiques du Confort Moderne et étaient déjà présents dans les murs avant la réhabilitation tout comme l’Oreille est Hardie.

©Pierre Antoine

RIM : Comment avez vous pensé, dès la conception, et avant même les travaux, votre nouvelle vie à quatre structures dans ce lieu ?

Yann : Tout d’abord, c’est parti du projet avec l’idée de ne pas trop sectoriser l’espace en actant par exemple que tel espace sera dédié à telle pratique donc à tels acteurs donc à telle association. Le principe est plutôt de partir du territoire le plus ouvert possible, donc le site du Confort Moderne dans sa globalité, et voir ensuite comment on allait pouvoir le partager projet par projet. Partant de la possibilité la plus ouverte possible, on voit ensuite comment les usages vont eux aussi créer les manières de travailler ensemble.

Ensuite, il y a deux histoires un peu différentes, du fait que Jazz à Poitiers n’habitait pas le lieu auparavant. Pour les trois autres structures c’est vraiment naturel car on a toujours habité ici. Même si on ne travaillait pas forcément autant ensemble, la manière de partager un espace commun était plus évidente. Ce qui a vraiment changé avec la réhabilitation, c’est la volonté d’activer le lieu ensemble : c’est une force supplémentaire d’afficher que le lieu est activé conjointement par ces quatre structures plutôt que par des projets qui seraient uniquement en superposition les uns avec les autres.

RIM : Mathilde est ce que tu veux compléter avec justement cette spécificité en tant que structure précédemment « sans lieu » ?

Mathilde : On n’était pas vraiment sans lieu puisqu’on était historiquement attaché à la salle Carré Bleu, même si on n’y avait pas nos bureaux. Effectivement, ça change un petit peu nos pratiques car on est maintenant habitant « légitime » d’un lieu, là où auparavant on était sur une logique de mise à disposition, même si on s’y sentait comme chez nous ! On apprend donc en vivant ici désormais depuis quelques mois.

Pour nous (les 4 structures), ce qui est le plus important, c’est ce qu’on est en train de co-construire à l’intérieur de ça : comment on vit et travaille ensemble tout en conservant de façon très affirmée et très saine nos identités propres. Cela se traduit notamment par le choix d’avoir nos structures juridiques propres et donc une autonomie financière et administrative. De l’autre côté, ça inclut aussi le fait de se servir de l’entrée projet pour réussir, comme l’a dit Yann, à faire encore mieux ensemble et ne pas se contenter d’une simple somme d’actions. Le but est de toujours se poser la question de comment ces actions mises côte à côte, voir ensemble, peuvent permettre de voir plus loin et produire des choses cohérentes et chouettes !

RIM : Lionel, peut être qu’on peut faire un petit focus sur l’évolution de ton statut puisque tu portes désormais d’autres missions en plus de la gestion de ta boutique.

Lionel : C’est une évolution constante qui a été pensée avec l’Oreille est Hardie et la Fanzinothèque justement. Ça a commencé par une petite parenthèse enchantée, justement pendant les travaux, où on a trouvé un lieu à habiter hors-les-murs qui regroupait Transat, la Fanzinothèque et la billetterie de l’Oreille est Hardie. Aujourd’hui je suis donc à la fois disquaire mais aussi salarié de l’Oreille est Hardie en charge de l’accueil et de la billetterie. C’est de la polyactivité, mais il fallait dans le projet une sorte d’épicentre à l’emplacement de la boutique pour pouvoir ensuite naturellement baguenauder dans le lieu. Le but est que le public puisse trouver un accueil naturel, ce qui n’était pas toujours évident dans l’ancienne configuration ne serait-ce que pour pouvoir accéder à la billetterie !

Yann : Je crois qu’il y a ici une question d’identité; celle d’assumer une identité multiple. Pendant longtemps ça ne l’a pas été alors que ça existait. On sait par exemple historiquement que la Fanzinothèque et Transat sont pour les gens un marqueur important de l’identité globale du Confort Moderne en tant que lieu. Désormais c’est vraiment posé et affiché.
J’ajouterais aussi que dès les études de programmation architecturale il y a eu des dialogues avec l’ensemble des structures pour recueillir les besoins de chacune d’entre elles.

Virginie : Moi je n’étais pas là avant les travaux ! Mais l’idée pour nous c’était d’avoir un espace beaucoup plus grand, plus visible, mais aussi un espace où l’on puisse mieux valoriser nos expositions puisque même si aucun des espaces du lieu n’est spécifiquement pensé pour un type de programmation ou une association, c’était important pour la Fanzinothèque de pouvoir mettre en œuvre facilement ce type de propositions. Par rapport à ce cahier des charges initial, la réponse architecturale est super !

La Fanzinothèque

RIM : Après seulement trois petits mois d’ouverture, quelles forces tirez-vous de cette proximité renforcée ? Ressentez vous des difficultés dans ces processus de coopération ?

Yann : Je pense que c’est sans doute beaucoup trop tôt pour faire un bilan. Il y a juste quelques grandes lignes qui ressortent. On a quand même beaucoup travaillé en amont pour poser une organisation du site, un portage des responsabilités, ainsi que des processus de décision où chacun trouve une place avec une méthodologie adaptée. Ce qui a été le plus compliqué ce sont les atavismes ! Nos structures sont issues d’histoires très différentes, et donc, le plus compliqué c’est la résistance au changement.

Virginie : Tout ceci est une histoire de déplacements… Effectivement, impulser un déplacement dans des projets qui ont des existences de plusieurs dizaines d’années, ce n’est pas la même chose que d’avoir un projet tout nouveau où l’on peut s’affranchir de l’historique. Personnellement je trouve hyper important qu’il y ait ce projet augmenté entre les structures. On y arrive petit à petit mais forcément les choses ne se déplacent pas toujours de manière ultra aisée !

Yann : Les premiers effets sont très simples, il suffit de regarder le calendrier et le nombre d’événements qui se sont déroulés depuis l’ouverture, ainsi que leur diversité, qu’on prenne une entrée esthétique ou formelle. Le bonus est clairement lisible dans le programme !

©Benoît Faure

RIM : Vous avez réalisé un bel exemple d’événement commun avec « Encore ! », journée de réouverture du lieu, où l’ensemble du site était investi par des propositions artistiques très diverses. Est ce que vous avez pour les mois à venir d’autres projets collectifs et transversaux ?

Yann : J’entrevois clairement, dès 2019, un événement à l’échelle du site. Et la réflexion autour d’un événement de ce type ne peut s’envisager sans dialogue entre l’ensemble des habitants du lieu.

Virginie : Sur des événements plus petits ce sont déjà des choses vers lesquelles on tend avec les différents curateurs, peut-être même plus que la journée d’ouverture, puisque même si nous y avons effectivement proposé des choses ensemble, nous n’avons pas vraiment réfléchi au sens commun des différentes propositions artistiques présentées. Alors qu’aujourd’hui, sur des propositions qui ne sont pas forcément de l’ordre d’un festival – même si ce type d’événement fédérateur est important – on va vraiment essayer d’aller voir ce que chacun peut apporter et aboutir à une proposition qui soit vraiment pensée ensemble.

Mathilde : Il y a déjà eu des choses effectivement dans les 3 mois passés. On est sur des échelles très différentes qu’« Encore ! », mais la volonté et la démarche restent les mêmes. Ce sont des choses qui se poursuivront dès le prochain trimestre.

Lionel : La transversalité, Transat la vit au quotidien. Comme la boutique sert également d’accueil en étant ouverte tous les jours de la semaine, je suis là aussi pour créer ce premier contact avec les gens aussi bien pour les diriger vers les expositions d’art contemporain, la Fanzinothèque ou les programmations musicales que je suis en mesure de leur expliciter.

 

RIM : Vous accueillerez l’AG du RIM les 15 et 16 mai. Qu’est ce que cela représente pour vous ?

Yann : Déjà, c’est un réseau très important et novateur à l’échelle d’une région qui est désormais immense. Unique par bien des aspects avec par exemple la signature du premier Contrat de Filière Musiques Actuelles & Variétés en France. On a beaucoup participé, que ce soit l’Oreille est Hardie ou Jazz à Poitiers, au réseau pré-existant qu’était le PRMA Poitou-Charentes et on a ensuite été proactifs lors de la création du RIM. Et enfin, on a désormais un espace qui nous permet de recevoir ce type d’événement avec ce qu’on peut offrir en terme de capacité et qualité d’accueil. C’est donc un grand plaisir de recevoir le réseau, mais aussi de montrer notre lieu, puisque finalement c’est encore très récent. On est très content de présenter celui-ci afin d’avoir des regards d’autres professionnels de notre secteur !

Daniel Rodriguez, directeur de la Locomotive (Tarnos) lors de la 1ère AG du RIM ©Mathieu Prat

Assemblée Générale du Réseau des Indépendants de la Musique (RIM) Nouvelle-Aquitaine ©Mathieu Prat

RIM : Vous accueillerez également le prochain congrès du SMA les 18 & 19 septembre !

Mathilde : La démarche et l’envie exprimées par Yann pour l’accueil de l’AG du RIM sont à peu près transposables. L’envie d’accueillir, c’est ce qui nous lie ici, donc pourquoi pas accueillir aussi des professionnels. On le fait donc en s’appuyant sur les réseaux dont on fait partie et qui sont structurants pour la filière musicale.